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Oran : Les intempéries font trois morts et plusieurs effondrements

26 Avril 2009 , Rédigé par Samir Ould Ali Publié dans #Reportage

El Hamri grogne

Les habitants d’El Hamri souffrent. Ils souffrent mais ils ont décidé de rompre le silence et d’étaler leur misère à la face du monde.
Depuis la survenue des intempéries la semaine dernière, des dizaines de tentes de fortunes ont été érigées dans les venelles du vieux quartier oranais : «Impossible de rester à l’intérieur de nos maisons, s’écrient-ils. Nous ne risquons rien de moins que mourir, écrasés par un plafond ou un pan de mur.»

Incursion dans un quartier qui panse ses blessures et affûte ses armes.

 

La peur de l’effondrement

A l’intérieur de toutes les maisons (une vingtaine que nous avons visitées samedi après-midi), l’humidité et la moiteur règnent en maîtresses des lieux, et l’odeur du moisi prend à la gorge dès qu’on en franchit le seuil. Depuis dimanche, l’eau des pluies s’est infiltrée partout, dans les moindres recoins, contraignant les habitants à redoubler d’ingéniosité pour, à la fois, mettre à l’abri leurs affaires, et tenter se ménager un coin pour dormir à plusieurs: «Nous avons passé une très dure semaine, racontent les hamraoua. La journée, nous subissions l’eau et la nuit, nous vivions la crainte de l’effondrement. Regardez par vous-même ! Est-ce un endroit digne des êtres humains que nous sommes, si tant est que nous le sommes encore ?» Murs lézardés, plafonds fissurés, fendillés, parquets au bord de l’écroulement, ces habitations sont à moitié effondrées, l’autre moitié n’attendant sans doute que les prochaines pluies. Dans toutes les maisons - où les affaires sont entassées dans un coin, recouvertes d’une bâche ou d’une toile - l’eau continue de scintiller sur le sol ou les murs. Le soleil est reparu depuis trois jours et pourtant, les stigmates des intempéries demeurent : «Ces maisons ne tiendront pas. Nous avons beau retaper un mur, refaire une partie de plafond, ce n’est que partie remise. La nuit, nous entendons les craquements annonciateurs de l’écroulement. C’est pour cela que nous avons préféré nous installer dans ces tentes.»

Dans le regard de tous les habitants, le même désarroi, la même peur que traverse, de temps à autre, une lueur de colère contre la société, contre l’Etat «qui refuse de nous donner des logements alors que nous vivons dans le dénuement et que nous avons introduit nos demandes il y a de longues années». «Comment vivre dans des habitations que la moindre averse, le moindre vent risque de détruire ? Ecrivez et dites-leur (aux dirigeants algériens, Ndr) que la mort nous guette et qu’ils l’auront sur la conscience.»

Dans le regard des Bouguettaia, Benabbou, Bentayeb, Hattab, Boudeham, Mellal, Khelifi, Nezrag, Tsouria et des dizaines d’autres, l’espoir aussi luit, parfois, dans le regard. L’espoir de voir enfin une commission «sérieuse et incorruptible» se rendre dans leurs maisons pour constater que «nous ne mentons pas» et qu’ils vivent réellement «la misère noire».

 

Une centaine de tentes

Dans pratiquement toutes les étroites ruelles d’El Hamri, des tentes naissent pour abriter ces «âmes en peine.» En bâche, toile ou plastiques, ces abris de fortunes (entre 100 et 120 déjà érigées alors que d’autres habitants s’apprêtent à en installer les leurs) suscitent pourtant la polémique chez les habitants : «S’il fallait que la protection civile intervienne, ses véhicules ne pourraient pas passer, les tentes obstruant pratiquement tous les accès», déplorent, à juste titre, certains hamraoua qui ajoutent préférer demeurer à l’intérieur de leurs maisons que d’empêcher une intervention urgente. Sans doute aussi qu’ils disposent d’une pièce qui aura échappé aux dégâts des intempéries, dans laquelle ils s’entasseront à sept voire huit personnes, plutôt que se «donner en spectacle.» Pour certains, défendre sa dignité est aussi important que préserver la vie des siens: «Cela fait de longues années que nous vivons dans cette précarité et le risque mais nous n’avons jamais eu recours au guitoune, et ce n’est certainement pas aujourd’hui que nous allons commencer.»

Quitte à dormir dans ce réduit qui sert de cuisine, ou dans la pièce parentale alors que l’on est déjà trentenaire, marié et père d’enfants. A El Hamri, dignité rime souvent avec promiscuité et embarras.

 

La commission d’enquête attendue

Promise par les autorités locales mercredi et par le ministre de la Solidarité nationale le lendemain jeudi lors de sa visite chez les Mihoub (famille qui a été endeuillée par la perte de trois membres), la commission d’enquête n’est encore passée chez aucune des familles précitées : «Les autorités doivent envoyer d’urgence cette commission, sans quoi il y a risque que les habitants se soulèvent comme mercredi dernier.» Mercredi 28 novembre, quelques centaines d’habitants du quartier étaient, en effet, sortis crier leur rage de voir trois femmes perdre la vie dans un effondrement survenu à 04 du matin : «La protection civile a sa responsabilité, tient à souligner le mari et père des victimes, Mihoub Abdelkader. Je les avais appelés la veille pour qu’ils viennent voir la maison. Une équipe était arrivée aux environs de 19H mais pour se rendre dans une autre maison. J’avais beau demandé aux pompiers de rentrer jeter un œil à ma demeure, ils ont obstinément refusé. Neuf heures plus tard, ma femme, ma fille et ma nièce étaient ensevelies sous les décombres.» Sur les circonstances de l’intervention des secouristes, M. Mihoub se montre tout aussi implacable : «Ils ne sont arrivés qu’aux environs de 5H30 (le même jour, les services de la protection civile indiquaient avoir intervenu à 5H30, Ndr). Pourquoi n’ont-t-ils pas réagi plus tôt ? Pourquoi a-t-il fallu aller cogner à leur porte pour qu’il daigne se déplacer ?» Autant de questions auxquelles Mihoub Abdelkader, qui continue de recevoir les condoléances de parents et d’amis, ne trouve aucune réponse. Tout ce dont il dit être sûr est que «les informations selon lesquelles le ministre (Ould Abbes, Ndr) m’a donné un chèque sont fausses. Après qu’il m’ait présenté les condoléances présidentielle et gouvernementale, l’un de ses proches m’a remis cette enveloppe contenant 50.000 dinars.» Le sinistré insiste : «C’est tout ce que j’ai reçu, avec la promesse d’un relogement urgent.»

 

L’urgence d’un dialogue

S’il ne fait aucun doute que les conditions de vie des hamraoua demeurent en deçà de la décence, il n’en demeure pas moins acquis que les autorités locales n’ont pas les moyens de reloger, dans l’immédiat, les quelque 33.000 habitants du vieux quartier. Tout comme les habitants d’El Hamri, des milliers d’autres oranais vivent dans la crainte de l’effondrement (Sidi El Houari, Les Planteurs, Derb, Gambetta, St Antoine, St Eugène, Eckmühl…) et attendent leur relogement depuis de longues années. Selon un bilan établi par l’office de promotion et de gestion immobilière, 2. 119 bâtisses - ou immeubles - menaceraient ruine à Oran. Parmi eux, 1.009 habitations se trouvent dans un état critique. A Sidi El Houari, 151 immeubles se trouvent dans un état déplorable (1er degré) alors que 66 autres sont des immeubles menaçant ruine (2ème degré). A St Antoine, 201 immeubles menaceraient ruine, parmi lesquels 140 sont dans un état lamentable...

On le voit, Oran se trouve dans l’impossibilité de donner satisfaction à tous les demandeurs, quelle que soit la légitimité de leurs requêtes. «Mais il faudra en convaincre les demandeurs, explique un ancien habitant d’El Hamri, membre d’une association à l’arrêt depuis des années. Les Oranais ont été tant de fois trahis qu’ils n’ont plus confiance, et il sera difficile d’établir le dialogue.» Pour autant, le fossé qui sépare l’Administration des administrés - aggravé par l’échec cuisant des élus à faire le lien entre les deux parties - doit être comblé. Sous peine de voir les habitants des vieux quartiers se soulever contre une Administration accusée (à tort ?) de toutes les tares : «Si nous avions de l’argent et du piston, vous croyez que nous en serions là, à attendre qu’on daigne nous regarder ?», demande-t-on à El Hamri. «Qu’une commission indépendante et intègre enquête sur les logements à Oran et vous verrez à quelles conclusions elle arrivera.»


Lire également La longue attente des recasés d'El-Hamri

 

 

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