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Le Croissant rouge algérien au chevet des sans-abri

12 Avril 2017 , Rédigé par Samir Ould Ali Publié dans #Reportage, #Oran

Tous les deux jours depuis le 20 décembre 2016, le Croissant rouge algérien à Oran organise des opérations de distribution de repas chauds et de couvertures aux déshérités et SDF : «Aujourd’hui (jeudi 02 février 2017, Ndr), c’est la 16ème sortie que nous allons organiser mais elle sera exclusivement dédiée à la distribution des repas», précise Djamila, bénévole du CRA, qui s’occupe autant du secrétariat que de la logistique, au 1er étage du bâtiment du comité d’Oran situé boulevard de l’ALN. «Jusqu’ici, nous avons distribué une moyenne de 120 repas mais nous aimerions faire davantage», regrette Larbi Benmoussa, avocat dans le privé et président du CRA/Oran depuis 2012. L’homme regrette que l’organisme caritatif ne suscite pas suffisamment l’intérêt des nantis de la wilaya, des promoteurs ou des hommes d’affaires : «Les dons se font rares et pourtant ils seraient d’un grand secours pour une partie de la population dans le besoin et des subsahariens qui hantent nos rues», dit-il en soulignant que l’opération du jour a été «rendue possible par une bénévole qui a voulu honorer la mémoire de sa mère disparue». La raison de ce désintérêt ? «Peut-être les agissements passés de certains membres qui ont écorné l’image de l’organisme», risque prudemment le président en s’abstenant de s’étaler sur la question. Pour lui, il est plus important de se concentrer sur l’avenir de la solidarité nationale que de s’attarder sur les égarements d’anciens responsables.

Pendant que le responsable évoque les problèmes auquel le CRA est confronté en raison, tout à la fois, du manque de dons, de l’absence de subventions et du désintérêt de certains responsables locaux, les bénévoles apprêtent la centaine de barquettes (comportant du riz, de la salade, de la viande) du pain, de l’eau et un yaourt qui iront réchauffer les ventres des sans-abris d’Oran : «De manière générale, l’itinéraire est invariable. Nous faisons une première escale à M’dina J’dida pour approvisionner les SDF qui occupent le trottoir de souk el kettane, nous passons par la Sûreté de wilaya, le boulevard Mascara et par quelques ruelles où nous avons des habitués. Et quand il reste assez de nourriture, nous poussons jusqu’à El Hassi où les subsahariens sont installés», indique Mokhtar, diplômé en électricité industrielle, bénévole depuis deux ans et membre du Samu social.

A l’assaut du 4x4

A 19h, les repas sont rangés dans le 4x4 qui stationnait en bas de la bâtisse et, alors que des volontaires prennent des photos qu’ils publieront sur les réseaux sociaux, une ration est déjà offerte à un jeune subsaharien qui s’est arrêté devant les gilets rouge et blanc. Une quinzaine de bénévoles prend place dans le véhicule tout-terrain et une petite fourgonnette, et le convoi prend la direction de M’dina J’dida où quelques dizaines de sans-abris ont l’habitude coucher sous des abris en carton, à proximité d’un barrage de CRS. Le 4X4 est rapidement pris d’assaut et les bénévoles ont de la peine à instaurer un peu d’ordre : «Ils ont peur que la nourriture ne suffise pas. Pourtant, il y en a pour tout le monde», rassure Faïza, sans emploi et bénévole depuis le mois de ramadan 2016. Et de fait, certains SDF s’en prennent à d’autres et les traitent de tous les noms, leur reprochant leur manque de civisme : «Donnez-mois l’autorisation et je les mets au pas !», crâne un SDF sexagénaire à l’adresse de Benmoussa, en brandissant sa canne. Ce que le président du CRA refuse naturellement, en souriant : «Ca va aller, nos bénévoles s’en occupent», répond-il en désignant les jeunes volontaires qui, se tenant par les mains, ont déjà formé une chaîne pour canaliser le flux des demandeurs. Deux couples, dont un avec un enfant, se tiennent à l’écart de la cohue et disparaissent dès qu’un bénévole leur apporte leurs rations.

Timidement, un jeune homme s’approche pour demander quand «s’hab Misserghin» allaient passer, en référence au Samu social qui transporte les SDF à Diar Rahma, situé dans la commune de Misserghine. Il dit être originaire de Tiaret et être venu en compagnie de sa femme en juillet dernier : «Nous travaillons dans une boulangerie, à haï El Badr. Avant, nous y dormions mais plus maintenant. C’est pour cela que nous attendons le transport pour Misserghine», explique-t-il en ajoutant qu’après ces sept durs mois, il avait décidé de rentrer « chez lui » à Tiaret.

« Mal gouvernance »

Un peu plus loin, un homme très éméché explique sa vision de la vie : «En Chine et en Inde, ils arrivent à gérer des milliards d’âmes. En Algérie, nous sommes une quarantaine de millions et nous avons des sans-abris ? C’est pas normal, ça !», lance-t-il en rappelant toutes «les richesses que le pays recèle du nord au sud. L’Algérie est mal gérée», dit-il la voix pâteuse. Originaire de Tindouf, l’homme rend hommage à la solidarité des bénévoles du CRA : «J’ai vécu près du Sahara occidental, je sais ce que le Croissant rouge signifie», termine-t-il.

Le climat s’étant réchauffé cette fin de semaine, les couvertures ne sont pas au menu de l’opération de solidarité. La distribution des rations terminée, Mokhtar s’occupe des modalités de transport des SDF qui le désirent vers Diar Rahma : «Il faut des dispositions spéciales, je suis obligé de rester ici jusqu’à 21h pour pouvoir les transférer», explique-t-il alors que le jeune tiareti s’en va dîner un peu plus loin avec sa campagne.

Cette nuit, les subsahariens d’El Hassi ne recevront pas la visite du Croissant rouge algérien : «Nous avons presque épuisé les rations. Il en reste quelques-unes que nous allons distribuer sur les SDF du boulevard Mascara avant de rentrer», explique encore Mokhtar. Selon les bénévoles, depuis le début de cette campagne en décembre, le CRA est plusieurs fois allé à la rencontre des subsahariens pour leur apporter un peu de confort, notamment des couvertures lors des nuits glaciales : «Nous ne faisons pas de différence entre les gens dans le besoin et si nous avions les moyens, nous ferions plus, beaucoup plus, assure Larbi Benmoussa. Comme vous le voyez, la volonté existe mais le CRA ne peut pas grand-chose sans l’appui de donateurs et en l’absence de subventions». Le président du comité d’Oran précise que les pouvoirs publics ont promis un nouveau siège et appelle à la multiplication des dons qui, garantit-il, iront aux populations déshéritées: «Les gens sont plus généreux durant le ramadan mais les sans-abris et déshérités souffrent toute l’année.»

Nécessaire cohésion

Personne ne sait combien de SDF hantent les rues mais les bénévoles affirment qu’il y en existe partout et la tendance serait à l’amplification étant donné l’attrait qu’Oran exerce sur les populations des autres wilayas. Il y en a dans les endroits parsemant l’itinéraire traditionnel tracé pour la distribution des repas du CRA mais également dans d’autres quartiers : «Certains ne sont pas visibles et il nous arrive souvent de les chercher pour les trouver», continue Mokhtar en indiquant en avoir «déniché» même du côté de Canastel, région située à l’extrême Est d’Oran.

Le Croissant rouge algérien n’est pas le seul à se pencher sur les misères des sans-abris et des déshérités : le bureau d’aide sociale de l’APC, la Direction d’aide sociale, la protection civile et de nombreuses associations caritatives lancent des actions d’aide et de secours ponctuelles. Mais celles-ci restent insuffisantes: «Généralement, chacun travaille de son côté. Si nous arrivons à harmoniser ces actions et à canaliser toutes ces énergies, il n’est pas interdit de penser que nous pourrions arriver à de meilleurs résultats», analyse Larbi Benmoussa.

En tout état de cause, trois nuits par semaine, les bénévoles du CRA prouvent que, malgré le manque de moyens, il est possible d’apporter du baume aux cœurs meurtris des oubliés de la société.

S. Ould Ali

 

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