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BNA : Un préjudice de 2 100 milliards de centimes pour la seule agence de Bouzaréah

17 Juin 2009 , Rédigé par Samir Ould Ali Publié dans #Procès BNA

Les auditions des 32 accusés dans l’affaire de détournement de 3 200 milliards de centimes de la Banque nationale d’Algérie (BNA) ont débuté hier au tribunal criminel près la cour d’Alger sis à la rue Abane Ramdane. Le président de l’audience, M. Benkherchi, a appelé en premier à la barre Mustapha Mouassi, chauffeur à la société National Plus, propriété de Achour Abderrahmane, principal accusé dans cette affaire.  
Dans une logique de tisser une toile d’araignée dans le but de prouver l’organisation en association de malfaiteurs, le juge a axé ses questions sur la nature des relations qui liaient le chauffeur aux autres accusés. Mustapha Mouassi est revenu sur les conditions de son recrutement à National Plus, en 2003, «grâce à l’intervention de ma belle-sœur, Saci Souad, cadre à l’agence BNA de Bouzaréah». Ainsi, il débutera son travail à Koléa avant d’être muté dans la société de Ainouche, associé de Abderrahmane Achour à Clairval. «J’occupais le poste de chauffeur et j’étais chargé d’accompagner Hassiba Merabti dans ses déplacements». Laquelle, au moment du recrutement de Mouassi, occupait le poste d’agent d’entretien. Toutefois, elle est présentée comme secrétaire d’Ainouche. Le juge rappelle au prévenu ses propos contenus dans le PV devant le magistrat instructeur. Mouassi nie : «J’ai été tabassé par les policiers et comme je ne suis pas instruit, ils ont mentionné ce qu’ils ont voulu». Cette même réponse a été donnée de nouveau par l’accusé lorsque le magistrat lui a demandé s’il accompagnait la secrétaire aux agences de banque  d’où «elle sortait avec des valises pleines d’argent». «C’est ce que vous avez également déclaré et consigné sur PV». Interogé sur les bons de caisse anonymes qu’il aurait encaissés à la place de Ainouche, Mouassi répondra qu’il exécutait les ordres de son patron. Il a ainsi encaissé une fois la somme de 1 milliard 300 millions de centimes en deux fois. L’accusé a également «suivi les instructions de son patron» en récupérant cinq 406 Peugeot pour une somme oscillant entre 700 et 800 millions de centimes, à raison de 177 millions de centimes le véhicule. De nouveau muni d’un bon de commande, d’un chèque et d’une photocopie de permis de conduire de ceux qui en ont bénéficié, il devait récupérer une Citröen C 3, une Kangoo, une 207, une 407 et une 307. En plus de la Clio dont a bénéficié la directrice par intérim de l’agence BNA de Bouzaréah, Mme Akila Mesrani. Ce qui fera conclure au procureur général que Mouassi Mustapha était un chauffeur spécial chargé de missions très spéciales. D’ailleurs, le représentant du ministère public ne lui posera qu’une seule et unique question : «Que signifie-t-il pour vous quand on vous remet des bons de caisse anonymes représentant des milliards à encaisser pour son compte ?» Le prévenu hésite un long moment avant de murmurer : «C’est un signe de confiance !», ce qui a  permis au procureur général de conclure encore une fois : «Dieu vous bénisse, vous étiez donc son homme de confiance !»
M. Belkherchi, pour tenter de faire dire à Mouassi que la dizaine de sociétés étaient en fait des entreprises fictives, lui demandera s’il lui est arrivé d’accompagner son patron sur les chantiers de goudronnage de routes ou encore de béton. Le prévenu répondra par la négative mais sans confirmer les soupçons du magistrat.


Garanties morales

Elle a assuré l’intérim de la direction de l’agence BNA de Bouzaréah pendant l’absence du premier responsable, Timidjar Omar, en fuite. Il se trouve actuellement en Grande-Bretagne. Akila Mesrani, c’est d’elle qu’il s’agit, est aussi accusée d’association de malfaiteurs, faux et usage de faux, escroquerie, faux en écritures bancaires, dilapidation de deniers publics. Cette licenciée en langues étrangères, avec ses 26 ans d’expérience dans le secteur bancaire, a rejeté l’ensemble des accusations portées contre elle, s’appuyant, voire insistant contre vents et marées sur les procédures d’usage dans les banques. Selon elle, en 2000-2001 (elle ne s’en souvient pas exactement), M. Amari, directeur régional s’est présenté à l’agence de Bouzaréah en compagnie de Abderrahmane Achour pour l’ouverture d’un compte au profit de National Plus. «Il nous l’a présenté comme un gros client, de confiance, intègre…». Elle confirmera à la cour qu’elle anticipait les opérations d’encaissement des chèques barrés de la société de Achour avant la confirmation de l’agence de Cherchell où est domiciliée Mamouna (la deuxième entreprise de Achour).
Le président de l’audience d’expliquer la procédure règlementaire. Laquelle prévoit qu’aucun chèque n’est mis à l’encaissement avant de s’assurer que le compte est crédité. Mme Mesrani répliquera : «Si l’on devait attendre la confirmation, ce serait une véritable perte de temps pour nos gros clients. Nous faisons la même chose avec les entreprises publiques.» Et d’ajouter : «Amari savait et Timidjar Omar également.» M. Benkorchi répliquera : «Vous avez fait gagné à Achour du temps et de l’argent et fait perdre à l’agence la somme de 2100 milliards de centimes !».
En relisant les passages du PV d’audition de la prévenue, le magistrat lui rappelle que l’agence qu’elle dirigeait réceptionnait une quinzaine de chèques quotidiennement. Elle refuse d’endosser la responsabilité en affirmant que l’agence applique ces procédés avec les clients qui présentent des garanties. Le juge prend la perche tendue involontairement par l’accusée : «Avait-il des garanties ?». Akila pleure : «Je ne le savais pas». M. Belkherchi lui précise qu’elle pouvait au moins prendre la peine de téléphoner à l’agence de Cherchell pour le chèque de 10 milliards de centimes. «Mais vous vous êtes gardée de le faire», rétorque-t-il, tout en lui signifiant qu’elle s’était basée sur une garantie morale. Mme Mesrani se remet à pleurer, ce qui fera dire au juge : «Laissez-la, elle se sent lâchée et seule». Elle éclate en sanglots avant de lancer : «Oui, je suis seule, mais il y a un bon Dieu.» Mme Mesrani a bénéficié d’une Clio verte que Mouassi, le chauffeur s’est chargé de récupérer chez le concessionnaire, muni d’un bon de commande, de la photocopie du permis de conduire de la directrice de l’agence et d’un chèque de l’ordre de 133 millions. Le magistrat lui demandera s’il ne s’agissait pas d’un présent pour services rendus, à savoir les encaissements des chèques au profit des entreprises de Achour Abderrahmane. Elle niera et jurera par tous les dieux que c’est avec son propre argent qu’elle a acquis le véhicule après avoir vendu l’ancien, une Clio aussi mais à trois portes.
M. Belkherchi lui demandera alors pourquoi elle a recouru aux services de la supposée secrétaire pour acquérir la voiture. En l’occurrence Hassiba Merabti. Akila expliquera alors la genèse de sa relation avec la première nommée. Elle dira qu’elle devait marier son fils et pour ce faire il fallait confectionner des gâteaux pour la circonstance. C’est la maman de Hassiba qui s’en est chargée parce qu’elle avait pignon sur rue en la matière. Puis, chemin faisant les deux femmes sympathisent et deviennent des amies.


La cavalerie des avis de sort
Medjadji, 43 ans, occupait le poste de chef de section portefeuille à l’agence BNA de Bouzaréah. Ce troisième accusé auditionné par la cour était chargé, selon lui, de réceptionner les chèques barrés. «Je les soumettais avant toute procédure à ma hiérarchie, qui devait m’instruire soit de les encaisser soit de les escompter.» Il reconnaîtra avoir reçu des ordres de son directeur, Timidjar Omar, puis de son intérimaire, Mme Mesrani Akila, de verser les chèques de la société National Plus à l’encaissement. «J’ai traité 25 ou 35 chèque», dira-t-il sans pour autant se rappeler le montant. Le président de l’audience lui demandera si l’opération est légale. Il répondra : «Dans un premier temps, cela m’a paru illégal, mais je n’ai aucun pouvoir de décision.» M. Belkherchi lui rappellera qu’on n’exécute pas des ordres en transgressant les lois. A la question de savoir combien de fois Abderrahmane Achour se rendait dans l’agence, Medjadji répondra : «Tous les jours. Puis, après le départ en congé du directeur, il se présentait une à deux fois par semaine.» Devant l’assistance du magistrat, le prévenu dira qu’il ne faisait qu’appliquer le règlement intérieur de l’agence. «C’est votre règlement intérieur, pas celui de la banque», réplique le président de l’audience. M. Belkherchi appellera le représentant de la partie civile afin qu’il pose ses questions  à l’accusé. En vain, ce dernier restera muet à chaque invitation du magistrat. Ce qui fera dire à ce dernier : «Pauvre argent public !» 
Le procureur général prend le relais pour demander au prévenu si tous les chèques étaient transmis au directeur général ou seulement ceux appartenant au groupe Abderrahmane Achour. Medjadi dira que tous les chèques, sans exception, lui étaient systématiquement soumis. Après quoi, il transmettait le chèque à l’agence de Cherchell qui devait répondre par l’envoi d’un avis de sort confirmant ou infirmant la provision du compte. Il se trouve que certains avis de sort revenaient avec la mention «payé», tandis que  d’autres revenaient sans mention. Ils étaient de nouveau soumis au directeur de l’agence de Bouzaréah qui demandait de les renvoyer. Des va-et-vient qu’on qualifie communément de cavalerie. Consistant à dissimuler les opérations irrégulières d’encaissement. Puisque les chèques en question ne sont enregistrés ni à Cherchell ni à Bouzaréah. Et, par conséquent, indétectables au niveau des inspections et des contrôles. Ils finissent dans un compte d’ordre caché appelé dans le jargon bancaire «compte des valeurs égarées».
L’un des avocats de Abderrahmane Achour, profitant de l’occasion pour disculper son client du délit d’émission de chèques sans provision, demandera à la cour de mettre à la disposition de la défense le millier de chèques en cause dans cette opération de cavalerie. Me Ksentini dira que les avocats n’ont jamais pris connaissance de ces documents bancaires.
Les auditions se poursuivent et le procès s’annonce long. Un procès qui, à bien des égards, ressemble à celui de l’affaire Khalifa avec des nuances. Le procédé reste le même : encaissements irréguliers, cavalerie d’avis de sort, exécution d’instructions non écrites… 
(La Tribune - 18 juin 2009)

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