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La prison pour les apprentis faussaires

11 Juin 2022 , Rédigé par Samir Ould Ali

En ce mois de juin 2020, lorsqu’il visite le bureau loué par ami entrepreneur à Aïn Türck, C. Hadj Mokhtar, ancien sergent de l’armée nationale en quête d’argent facile, a une idée improbable : il va utiliser la photocopieuse de bureau pour tenter de rouler des consommateurs de stupéfiants de Chlef à la recherche de psychotropes. Le scénario s’élabore vite dans son esprit : il va fabriquer de faux emballages de Prégabaline (médicament contre l’anxiété en vogue chez les consommateurs de stupéfiants) avec lesquesl il conditionnera un médicament quelconque pour le refourguer en tant que psychotrope aux amis Chélifiens. Très vite, il expose son plan à son &mi B. Adel, 31 ans, vendeur de chichas établi dans la localité balnéaire, et lui demande d'informer les Chélifiens qu’il peut leur fournir la marchandise recherchée. Il fait également appel à un autre complice, C. Fouad, menuisier aluminium se son état et ami d’enfance de sa ville d’origine, Mascara, et lui demande de trouver des clients pour les faux psychotropes. Mais très vite, son idée tombe à l’eau : les faux psychotropes ne trompent personne et les Chélifiens disparaissent vite dans la nature. 

Un billet de 1.000 DA sur des feuilles 21x27

Qu’à cela ne tienne, résolu à se faire rapidement de l’argent, le jeune homme de 25 ans, qui se fait passer pour un agent de la sécurité militaire grâce à un faux ordre de mission, décide de se lancer dans le trafic de la fausse monnaie. Avec ses deux complices, il fabrique 20.000 DA à l’aide de la même photocopieuse de bureau, en reproduisant le même billet de 1.000 DA sur des feuilles de papier 21x27. Le 18 juin 2020, en quittant Mokhtar, les grossières imitations en poche, le vendeur de chichas est interpellé par des éléments de la police qui, justement, venaient vérifier des renseignements sur la présence d’une bande de faussaires dans cet immeuble donnant sur les rivages d’Aïn Türck. Mokhtar tentera de prendre la fuite en sautant à travers de la fenêtre, oubliant qu’il se trouve au deuxième étage du bâtiment. Il tombe littéralement entre les mains de la police et se casse la jambe… 

Un quatrième homme, I. Mustapha, également originaire de Mascara, est arrêté à proximité du bâtiment en conduit au commissariat de police.  

Au cours de leur enquête, les éléments de la police trouvent dans la mémoire du téléphone de Adel un selfie montrant Mokhtar, Adel et Fouad en compagnie d’une femme, tout sourire, assis autour d’une table sur laquelle de faux Prégabaline sont posés. L’inconnue est rapidement identifiée comme étant F. Hadja, 28 ans, épouse de Adel dont le rôle n’est pas encore déterminé.

Déférés devant la justice, Mokhtar, Adel et Fouad sont placés sous mandat de dépôt tandis que Hadja et Mustapha sont mis sous contrôle judiciaire. Les quatre hommes sont poursuivis pour falsification de monnaies dont la valeur est inférieure à 500.000 DA, suivant l’article 197, du code pénal et de fraudes dans la vente des marchandises et des falsifications des substances alimentaires et médicamenteuses, conformément à l’article 431 du même code. Les accusés risquent entre 10 et 20 ans de réclusion criminelle. Hadja devra, elle, répondre du délit de non dénonciation de crime, prévu par l’article 181, ce qui pourrait lui valoir une condamnation d’une année à cinq ans de prison ferme.

Aveux et dénégations

Comparaissant devant les assises d’Oran en mai 2022, C. Hadj Mokhtar, qui devait aussi répondre de falsification de documents administratifs, ne nie pas les faits. Se déplaçant encore avec des béquilles, le jeune homme reconnaît avoir eu l’idée des faux psychotropes et des faux billets comme il admet avoir falsifié l’ordre de mission de la sécurité militaire. Il reconnaît avoir photocopié le billet de 1.000 DA sur des feuilles de 21x27 et avoir demandé à C. Fouad de lui trouver des clients pour les faux psychotropes. Il niera toutefois connaître I. Mustapha.

De son côté, B. Adel rejette toutes les charges qui pèsent sur lui. Il nie avoir le moindre lien avec la fabrication de faux psychotropes et de fausse monnaie et dit ignorer que les billets que lui avait remis Mokhtar étaient falsifiés. Fouad, 33 ans, tient le même discours : il était venu de Mascara et loué une chambre dans le même bâtiment où se trouvait Mokhtar parce qu’il devait travailler en qualité de menuisier aluminium dans un chantier. Oui, Mokhtar l’a invité dans sa chambre, oui, il a vu la photocopieuse et les faux psychotropes mais non, il n’a pas pris part à ce forfait.

I. Mustapha, 26 ans, qui comparaît libre, est incisif : il ne connaît pas les accusés et n’a rien à avoir avec l’affaire. Ce 18 juin 2020, il était venu de Mascara dans le but de louer une chambre pour quelques jours de vacances. Il était au mauvais endroit, au mauvais moment.

F. Hadja, qui comparait libre également, jure qu’elle ignorait ce qui se tramait. Elle s’était rendue avec son mari à un repas offert par Hadj Mokhtar et aussi dans l’espoir de trouver une pièce à louer pour des vacances. Mise en face de l'image trouvée sur la mémoire du téléphone, elle assure qu'elle ne savait pas que les comprimés qui se trouvaient sur la table étaient des psychotropes ou qu’ils étaient faux. Délit de non-dénonciation de crime ? Elle en ignorait l’existence, affirme-t-elle à la barre.

L’accusation requiert 15 ans de réclusion

Dans son réquisitoire, la représentante du ministère public soutient que les accusations sont fondées et requiert 15 années de réclusion contre les trois accusés en détention, trois ans contre Hadja et l’application de la loi pour Mustapha.

Pour l’avocat de Hadj Mokhtar, le dossier n’est pas aussi grave qu’il en a l’air et les réquisitions du ministère public sont disproportionnées : «Nous ne sommes pas en présence du grand banditisme. Ce sont juste des amateurs qui ont tenté, très maladroitement, de se faire un peu d’argent. Les pros de la fausse monnaie ont recours à des scanners, des ordinateurs, du papier spécial… Eux ont reproduit le même billet de 1.000 DA, portant le même numéro, sur du vulgaire papier que l’on trouve dans n’importe quel commerce», explique l’avocat en réclamant la clémence pour son client qui n’a d’ailleurs pas d’antécédent judiciaire.

N’hésitant pas à accabler le principal accusé qui a commis la falsification, le conseil de B. Adel et de son épouse Hadja, affirme que Adel ne peut pas être poursuivi de falsification de monnaie ou de médicaments : «Il n’a pas eu l’idée de la fraude et n’a pas utilisé la photocopieuse. D’ailleurs, son niveau d’instruction ne lui permet pas de manipuler des appareils électroniques», tente l’avocat en plaidant l’acquittement. Acquittement qu’il demandera également pour Hadja qui, dira-t-il, a agi par ignorance et naïveté : «Même si elle était au courant de l'existence du délit de non-dénonciation de crime, comment aurait-elle pu dénoncer son époux ? Qui plus est dans une société qui considère ce genre de comportement comme de la délation ?», s’interroge-t-il.

L’avocat de C. Fouad plaidera également l’acquittement en s’appuyant sur la constance de son client à nier les faits depuis son interpellation deux ans plus tôt et l’absence de preuves matérielles le reliant à la falsification : «Il est en prison depuis 2020 sur la base d’un malheureux selfie qui le montre avec les autres accusés…», déplore le juriste en insistant sur le fait que Fouad se trouvait à Aïn Türck dans le cadre de son travail.

Après délibérations, le tribunal criminel de première instance près la cour d’Oran condamne C. Hadj Mokhtar, B. Adel et C. Fouad à trois ans de prison ferme. F. Hadja écope d'une amende de 20.000 DA tandis que I. Mustapha est acquitté.

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